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Ma mère, l’escargot et moi de Suzanne El Kenz

« Sa tombe fleurissait. Toute seule, du fait de l’isolement, de l’abandon. Des ronces, des fleurs jaunes, des rince-bouteilles, et quelques restes de géraniums que des âmes charitables avaient volontairement plantés lors de sa mise en terre.

Je me penche sur la sépulture, j’ai mal au dos, en un point situé entre l’omoplate et la colonne vertébrale. Mais je me penche encore et encore, et sens mes pieds instables sur la terre meuble, friable et bosselée. Je rapproche ma bouche de la stèle en marbre sur lequel est gravé son nom et un verset du Coran et j’embrasse la froideur du matériau, j’étreins la distance, la séparation, l’absence et le vide maintenant. Mon regard glisse involontairement, happé par la mouvance d’un escargot, venu probablement en visite. Comme moi. Sauf que lui épouse mieux le paysage ; il s’y confond sans faire d’effort, on dirait qu’il fait partie intrinsèque du lieu. De plus, il a un autre avantage sur moi : le temps ne lui est pas compté. Dieu seul sait depuis combien de temps il est là et compte se prélasser sans avoir aucun état d’âme. Du moins je le pense ainsi, car comment un escargot vivant sur la tombe de ma mère peut-t-il avoir des états d’âme, ou quelque chose qui y ressemble ? »

C’est par cette visite sur la tombe de sa mère, une chaude journée du mois d’août,  que Suzanne fait la rencontre d’un escargot, pas n’importe quel escargot, mais un escargot vivant sur la tombe de sa maman. Il l’effraie, la poursuit. Elle hésite à l’écraser, l’écrabouiller, puis finalement se laisse inviter à un voyage intérieur. L’escargot réapparait dans ses rêves et la hante, puis finalement l’accompagne dans son aventure, dans son récit, dans son voyage, entre la consolation impossible de la mort de sa mère, et le déchirement de l’exil dont elle tente de s’extirper en allant de l’avant, en revenant sur les lieux mémoriaux, qu’elle veut partager avec ses enfants.

L’auteure nous fait voyager dans le temps et dans l’espace. Son petit pèlerinage « algérois » tout d’abord, ses ruelles et ses marchés où elle aime se rendre à chaque fois qu’elle est à Alger. La décevante boutique palestinienne du Sacré-Cœur, où les produits de coopératives palestiniennes et les magnifiques broderies sont remplacées par des « Monsieur Propre », « Uncle Ben’s » et autres lessives espagnoles de mauvaise qualité, ou encore les restaurants ou elle se rend avec ses amis, refaire le monde, boire et manger, fumer et débattre des heures durant, oubliant le temps d’un soir leurs tristesses et nostalgies.

« Mes amis aiment cet endroit, et il n’est pas rare qu’ils s’y rendent deux ou trois fois par (…) Je consens parfois, non sans plaisir à les y accompagner. Nous nous y engouffrons comme si nous voulions échapper pendant quelques longues heures à l’incompréhensible chaos qui règne dans les rues algéroises. Ce chaos que, à l’intérieur de notre petit cercle, nous prétendons naguère expliquer, voire ordonnancer. Chacun y allait de son information « de source sûre et de première importance », conscients que nous étions, de notre position, dans l’antre des secrets des dieux. Chacun y allait de son analyse, dont la pertinence n’avait d’égale que la naïveté de celui ou celle qui l’écoutait ».

C’est à son retour à Nantes qu’elle décide de convier ses enfants à un voyage, pas n’importe quel voyage, celui qui la consolerait peut être, un voyage qui lui ramènerait un peu sa mère, sa patrie, sa Palestine. C’est ainsi que Suzanne et ses deux enfants se retrouvent à l’aéroport de Ben Gourian, Suzanne espérant rejoindre Jérusalem avec ses enfants, et leurs transmettre une part de ce qu’elle porte en elle pour toujours.

« J’éprouve un sentiment mitigé. J’attends anxieusement le moment du passage des soldats pour leur exhiber mon french passeport, qui va la leur boucler ; et en même temps, j’éprouve un sentiment ambigu, de la gêne et aussi de la honte à ne pas descendre avec les miens, traverser le couloir et subir comme eux l’humiliation. »

L’auteure, nous fait voyager, depuis la rencontre avec l’escargot sur la tombe de sa mère dans un cimetière à Alger, vers des lieux et des souvenirs parfois légers, parfois tragiques, et interroge à chaque événement son rapport à la Palestine, son pays natal, à l’Algérie ainsi qu’à la France, où elle vit aujourd’hui.

Le cheminement du texte intime, personnel et généreux, nous raconte l’exil, l’appartenance, la solitude dont on ne réussit pas à se défaire. Un roman à lire.

Suzanne El Kenz, née en 1958 à Gaza. Elle publie en 2011 “La maison du Néguev” (aux éditions APIC) pour lequel elle reçoit le prix Yambo-Ouologuem.

Ma mère, l’escargot et moi. Edition de l’Aube 2013.



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